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- Le problème de l'âme (1971) -
Recension

Par Jérémy Pichon

Introduction

La question de l’âme constitue un problème fondamental en métaphysique dans la mesure où elle rend compte d’une identité foncièrement spirituelle de l’homme. Si on retrouve des analyses sur l’âme dans beaucoup de développements tout au long des ouvrages de Tresmontant, Le problème de l’âme a le mérite d’en faire un sujet central au point de lui consacrer tout un essai.

 

Ici, Claude Tresmontant ne se contentera pas de répertorier l’histoire de la notion. Ce qui va l’intéresser est la manière dont l’âme peut être pensée dans le contexte des grandes découvertes scientifiques de notre temps.

D’entrée de jeu, Tresmontant tient à préciser les choses : le lecteur ne tient pas entre les mains un ouvrage de psychologie expérimentale mais un essai de métaphysique.

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Si la première partie de l’ouvrage vise à revenir brièvement sur l’histoire de la notion par pure fin pédagogique, de sorte que le lecteur ne soit pas perdu en cours de route, c’est surtout l’occasion pour Tresmontant d’opérer une analyse comparée de la notion du point de vue culturel.

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Les atomistes se singularisent en pensant à ce sujet une véritable cosmologie : « Les atomistes pensent que l'on peut passer du chaos originel à l'ordre du cosmos sans un principe intelligent qui organise. » (p. 54)

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Epicure pense la même chose, comme Lucrèce. Chose étonnante, selon Tresmontant, Aristote peut en faire partie car son analyse conduit à reconnaître un principe d'information distinct de la matière informée, ce qui le ramène à l'existence de Dieu. (p. 54)

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De cet exemple, le lecteur comprend que la question de l’âme est souvent associée à une cosmologie. Tresmontant rappelle l’idée d’Aristote selon laquelle dans l'étude de la nature « on devrait plutôt parler de l'âme que de la matière, d'autant plus que c'est grâce à l'âme que la matière est nature au lieu de l'inverse » (p. 45)

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De là l’idée reprise plus tard que « Si l'âme peut exercer quelque fonction sans le corps, alors elle pourra subsister sans le corps. » (p. 47)

En précisant tout de même que pour Aristote, l’âme et le corps sont un seul et même composé ; ils sont indissociables.

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Tresmontant de commenter la suite des hostilités avec la réception d’Aristote par la pensée moderne via le tournant cartésien : « Avec Descartes et les cartésiens, la théorie aristotélicienne, à base expérimentale, et les conclusions de ses analyses, de l'information semble incomprise. En tout cas elle est rejetée, ridiculisée, piétinée. Elle fournira des aliments à la comédie. Il faudra attendre le XXe siècle, le renouveau de la biologie, pour que la théorie aristotélicienne de l'information soit retrouvée, éclairée, sur des bases expérimentales nouvelles, et enrichies par des découvertes de la plus haute importance. » (p. 50)

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Après avoir exposé une brève histoire du problème, Tresmontant revient sur l’anthropologie hébraïque et essaie d’examiner les raisons pour lesquelles elle résiste au temps. D’abord, selon la pensée hébraïque, « L'âme humaine ne préexiste pas au « corps ». La pensée hébraïque n'a aucune idée du mythe orphique de la préexistence des âmes, de leur chute dans des corps, ni de la transmigration des âmes de corps en corps. Tous ces thèmes sont totalement étrangers à la pensée hébraïque biblique. Ils apparaîtront, beaucoup plus tard, dans les livres gnostiques juifs, c'est-à-dire la Kabbale. » (p. 61)

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En respectant le sens de chaque doctrine, Tresmontant en vient à conclure que, « Finalement, dans toute anthropologie dualiste, c'est le « corps », c'est-à-dire l'« autre », qui est responsable. On rejette sur la « matière » la responsabilité dont le sujet devrait assumer le poids. On nous propose en somme une explication physique de la faute morale, et une technique physique de la purification. Nous sommes aux antipodes du christianisme. » (p. 98)

La substantialité de l’âme

Fort de cette initiation historique à travers les principales métaphysiques ayant pensé la notion d’âme, Tresmontant explique que « Pour comprendre l'anthropologie des atomistes, celle de Plotin, celle de Descartes, il nous a fallu, nous l'avons vu, dire un mot de leur cosmologie, partir de leur vision du monde générale. » (p. 144)

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Tresmontant consacre ensuite un chapitre d’analyse du concept au regard des données scientifiques contemporaines. D’abord, il rappelle qu’un « Un organisme vivant se distingue de la matière du reste de l'univers par le fait qu'il est un être composé. » (p. 151)

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Le plus intéressant dans cet essai est quand Tresmontant dialogue avec des scientifiques spécialisés dans leur domaine respectif ; par exemple, A. Lwoff, signale Tresmontant au passage, nous met en garde pour éviter de parler de « matière vivante » : l'expression est incorrecte. Il n'y a pas de « matière vivante ». Le vivant est forcément une structure, un système ; la matière passe constamment alors que la forme demeure en tant que principe d’organisation. (p. 161)

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À la suite de cette observation, Tresmontant retrouve Aristote pour qui, on s’en souvient, « l’intellect » était immortel en tant que substance divine qui vient en l’âme comme du « dehors » (p. 161) ; on voit ici que Tresmontant ne va pas se contenter d’une simple histoire de la philosophie ni même de simples concepts ; il invite son lecteur à comprendre ce problème de l’âme grâce à une réalité plus concrète : « Chez un monsieur de quatre-vingts ans, aucun des atomes qui se trouvaient intégrés lorsqu'il avait dix ans n'a plus guère de chance de se trouver encore dans l'organisme du vieillard. Et pourtant c'est le même homme, et il le sait. Le sujet a subsisté. » (p. 161)

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Ainsi, ce qui détermine la réflexion de Claude Tresmontant au travers de la structure en tant que Sujet, c’est « l’idée directrice » jadis observée par le physiologue Claude Bernard. Il y a, de fait, une différence entre les structures vivantes (= le plan est interne ; le principe d'information est premier) et les structures matérielles (=le plan est dans la tête d'êtres vivants qui ont conçu l'immeuble ou la machine) (p. 165)

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Dans le même sens, le biologiste Paul Wintrebert reconnaît dans la cellule l'activité d'une intelligence immanente. (p. 169) ; Il existe chez les embryons un pouvoir de régulation : ils sont capables de compenser des mutilations ou d'intégrer des cellules en excès. (p. 171)

Sur ce point, Tresmontant renvoie aux expériences de Spemann, découvreur de l'embryogenèse. (p. 177)

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L’âme nous amène donc à explorer la question du psychisme. À ce stade de l’analyse, le lecteur comprend que l’âme n’est pas seulement un concept mais une réalité vivante. C’est si vrai que Tresmontant écrit à son sujet : « Une science biologique qui est en nous, et dont nous n'avons pas conscience. Une sagesse biologique créatrice inconsciente. Nous sommes à nous-mêmes un mystère biologique. » (p. 179)

Le plus épineux reste la question du rapport entre l’âme et le corps : « La dualité en nous est donc entre le principe d'information, qui subsiste pendant toute la durée de notre vie, d'une part, et la matière intégrée et informée, qui, elle, est renouvelée constamment, d'autre part. » (p. 181)

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Pour Tresmontant, dès lors, il est clair « Nous ne savons pas avec notre tête ce que nous savons faire biologiquement. » (p. 183)

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Toute la question revient donc à savoir « Qui renouvelle en moi chaque jour 500 000 millions de cellules, alors qu'avec tous nos laboratoires, dans le monde entier, nous ne sommes pas encore capables de faire la synthèse d'une seule cellule ? Dois-je dire que c'est moi qui le fais, ou bien dois-je reconnaître que c'est un autre ? » (p. 184)

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C’est pourquoi Tresmontant précise bien que « Dans l'inconscient de l'homme, il n'y a donc pas seulement ni même d'abord ce que j'ai « refoulé », des souvenirs que je me dissimule à moi-même. Il y a d'abord l'inconscient biologique, organisateur, qui opère en moi, dans l'organisme que je suis, sans que je sache comment. » (p. 186)

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Chose étonnante, Tresmontant rejoint les plus grands romanciers quand ces derniers exploraient la tension entre l’âme et le corps avec « Un dialogue souterrain, secret, inaperçu souvent, entre la sagesse créatrice qui opère en moi et qui m'a constitué, et moi-même. » (p. 186)

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Le problème de l’immortalité de l’âme

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Une fois avoir observé cette tension entre l’âme et le corps, Tresmontant s’attaque au délicat problème de l’immortalité de l’âme, d’abord en rappelant que « Dans la perspective chrétienne, l'âme humaine n'est pas divine par nature. Elle est divinisable par grâce, ce qui est très différent. » (p. 188)

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Tresmontant poursuit son analyse : « L'âme n'est pas le résultat d'une synthèse. Elle n'est pas une composition. Elle est bien plutôt ce qui compose une matière multiple pour en faire un organisme. Elle n'est pas une chose matérielle. On ne voit donc pas du tout pourquoi elle se décomposerait, puisqu'elle n'est pas composée. » (p. 193)

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Même chose qu’avec son exposé historique, Tresmontant ne va pas se contenter d’une analyse froide des phénomènes ; il examine, en réaliste, le caractère propre de l’âme, ce qui revient à corriger certains contresens à son sujet : « Dans notre expérience, au fond, nous n'avons connaissance d'aucun cas d'annihilation. Ce qu'on appelle en physique « L'annihilation » de certains corpuscules, n'est pas une annihilation au sens propre du terme. Dirac avait prévu l'existence d'élections positifs, ou positons, inverses électriques des électrons, c'est-à-dire qu'ils ont même masse avec une charge électrique égale mais de signe contraire. »

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Tresmontant n’hésite pas à convoquer d’éminents scientifiques à l’image de Louis de Broglie et son maître livre, Physique et Microphysique. À sa suite, Tresmontant pose l’impossibilité d’une annihilation mais plutôt une transformation de particules matérielles en énergie lumineuse, transformation de matière en lumière. Certes, signale Tresmontant, nous avons des disparitions, hors du champ de notre expérience, mais reste à établir, ce qui n'a pas encore été fait, que toute disparition est une annihilation. » (p. 195)

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La question de la résurrection de l’âme reste donc ouverte ; ce sera l’objet d’une analyse plus poussée dans ses cahiers de métaphysique.

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Conclusion

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Dans cet essai, Tresmontant revisite la notion d’âme à travers les différentes métaphysiques qui ont pensé la notion à travers les âges. C’est l’occasion pour le métaphysicien d’examiner la pertinence de l’anthropologie hébraïque au regard des sciences de la nature. Dans le fond, l’anthropologie biblique ne sépare pas l’âme et le corps mais cherche à les penser dans leur unité dramatique. L’essai comprend des développements extrêmement importants sur la question de l’immortalité de l’âme en lien avec le problème de la résurrection. Cet angle sera davantage explicité dans ses cahiers de métaphysique.

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Table des matières

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Brève histoire du problème

Analyse du problème : la substantialité de l’âme

Le problème de l’immortalité de l’âme

Le problème de la résurrection

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